Des rues anglaises du 19ème siècle aux prémices de la révolution industrielle en Ohio, le passage du balai à l’aspirateur ne s’est pas fait sans quelques remous. Représentant aujourd’hui plusieurs milliards en chiffre d’affaires et devenu le sacerdoce de la ménagère, vous serez surpris d’apprendre que le design et les performances de l’aspirateur n’ont pratiquement pas évolué depuis sa création. Plongée dans l’histoire pas toujours reluisante de la plus célèbre des machines de nettoyage domestiques.

Les balbutiements de l’aspirateur

Après plusieurs milliers d’années de fidélité au balai, l’Homme était enfin prêt à imaginer un outil de nettoyage moins fastidieux et plus avancé sur le plan technologique. Dans l’Angleterre du début du 19ème siècle, des inventeurs ambitieux ont obtenu des brevets pour les balayeuses mécaniques qui nettoyaient les rues, les planchers et les tapis. Le système imaginé était encore rudimentaire : des poulies et manivelles qui faisaient pivoter une brosse ou un balai pour pousser la saleté dans un récipient. C’est aux Etats-Unis, alors au bord de la guerre civile en 1858, qu’un inventeur de l’Iowa, Daniel Hess pensa à un ajout simple, mais faisant toute la différence : l’air. Encore manuelle, la machine de Hess fonctionnait à l’aide d’un soufflet pour créer l’aspiration et attirer la saleté. Elle reste néanmoins le premier design rudimentaire de l’aspirateur.

Les temps modernes

Le problème rencontré par Hess était que l’utilisation de l’air en mouvement n’était que la moitié de la solution et qu’il fallait encore recourir à la force manuelle pour attraper la saleté. L’apparition de l’essence comme source de carburant en 1892 allait rendre ce rêve réalité. C’est à ce moment précis que l’histoire devient légende : un inventeur anonyme à Londres aurait participé à une foire commerciale, se vantant que son nettoyeur de tapis à essence était révolutionnaire lorsqu’il fut approché par l’ingénieur Hubert Cecil Booth, qui souhaitait aspirer la poussière plutôt que de l’expulser. Booth présenta le «Puffing Billy» en 1901 et dès l’année suivante, il été chargé par le couple royal de nettoyer l’abbaye de Westminster. Au tournant du siècle, l’appareil de Booth ne circulait pas seulement dans les rues, on le trouvait également chez les familles les plus aisées et dans les grands hôtels. Et c’était bien là tout le problème : sa consommation en essence et sa taille limitaient l’adoption de l’aspirateur aux couches supérieures de la société. 

La démocratisation de l’aspirateur

On doit la démocratisation de l’aspirateur à un concierge de 60 ans de l’Ohio. James Murray Spangler a nettoyé l’immeuble dont il était le concierge chaque nuit d’année en année, une tâche non seulement longue et fastidieuse, mais qui l’a rendu asthmatique. Spangler a donc conçu son propre aspirateur en utilisant un balai, une taie d’oreiller et un moteur électrique, transformant le mastodonte créé par Booth en une machine verticale et portative. Après avoir déposé son brevet en 1907 et quitté son emploi, il ouvre son entreprise et utilise sa maison comme garantie. Pris à la gorge financièrement après l’achat de 75 moteurs et sur le point d’être expulsé de chez lui, Spangler se tourne vers l’un de ses premiers clients : sa cousine, Susan Hoover.

Le mari de Susan Hoover n’était autre que William Hoover, qui racheta le brevet de Spangler en 1908 et le transforma en succès commercial avec profusion de publicités et de vendeurs de porte à porte qui suffirent à faire entrer Hoover dans la postérité, donnant même son nom à l’action d’aspiration de la poussière (“hoovering” en anglais). En réalité, Hoover n’a apporté aucune amélioration notable au prototype de Spangler. Bien sûr, les aspirateurs sont aujourd’hui plus élégants, silencieux, propres et petits, mais selon Gasko, ils sont surtout devenus moins performants. Les nouveaux moteurs s’épuisent plus rapidement et la poussière tend à boucher les circuits imprimés modernes : deux fois plus puissants et rapides, les aspirateurs tels que nous les connaissons aujourd’hui se cassent aussi huit fois plus vite.

Bien qu’il faille noter l’arrivée de Roomba, le premier aspirateur intelligent qui fait entrer en 2002 l’aspirateur dans l’ère robotique, l’aspirateur tel que nous le connaissons fait bien son travail, comme ses prédécesseurs avant lui. Un siècle plus tard, passer l’aspirateur n’en reste pas moins une corvée.